03 – La majorité silencieuse.

Vous avez très certainement déjà entendu parler de la notion de majorité silencieuse. Elle désigne la partie d’une population donnée dont le silence est pris pour un oui. Cette expression anglaise du XIXème siècle fut avant tout utilisée comme un euphémisme pour ceux déjà décédés. Nous en ferons un signe de vie. Utilisée aux alentours de Mai 68, on attribue sa première traduction à des Gaullistes comme un slogan de réponse face à la grogne sympatoche des gens avec des trous dans les poches. Plus tard Nixon a causé de silent majority pour tenter de justifier le conflit du Vietnam. Remarquons d’ores et déjà que c’est une notion de pur réactionnaire. Bonne pioche, il est temps d’en changer la définition.

Vous. Oui, vous, au fond, avec le visage. Êtes-vous satisfait(e) de la manière dont les médias causent du jeu vidéo? Non? Cela ne me surprend pas, vous ne m’avez pas l’air d’un enfant en échec scolaire poussé dans la vie par le plaisir subtil et sans malice d’user d’insultes d’une voix nasillarde sur le Xbox Live. La preuve, vous lisez ce texte, c’est que vous en êtes capable. Ce qui n’est plus la norme à notre époque mais bien l’exception. De plus, vous avez suffisamment d’éducation pour savoir que ce n’est pas en hurlant sur les gens qu’on les éduque. Suivant des principes philosophiques aux angles aigus, vous vous frottez à des gens obtus vautrés dans leur ignorance. Malgré tous les degrés de votre pensée votre propos est dénigré. Autour de vous s’élève pourtant une clameur balbutiante faite de tous les boulets de la terre. Dans pareil pandémonium tout silence est pris comme signe d’assentiment. Sans le savoir, vous faites partie d’une majorité silencieuse.

Dans mes écrits j’utilise deux termes différents qu’il est temps de vous expliquer. (Et non pas de vous expliciter comme pourrait l’écrire un gars porté sur les abus de langage.) Quand je mentionne l’idée de média vidéoludique je cause du jeu vidéo en tant que vecteur de volonté humaine. Il est donc question du jeu. Quand je cause, attention subtilité, de médias vidéoludiques; je suis en train de causer des diverses tentatives crées par des gens afin de causer de jeu vidéo. Maintenant que cet imbroglio est réglé; l’on peut continuer de causer.

Les médias vidéoludiques cherchent à courtiser un public jeune avec quelques euros en poche. Avec le temps viennent les responsabilités et la plus grosse portion démographique du marché est représentée par nos amis les gens de moins de vingt-cinq ans. Ceux qui n’ont pas trop de trucs à payer, finissent peut-être des études. Bref, des gens pas encore rentrés dans la vie active. Ce juteux marché est intéressant à plus d’un titre : son opinion est facilement malléable, il aime réagir à ce qui fait l’air du temps et surtout il peut se payer des conneries. Ce qui fait de lui une excellente cible pour la pub. Et ça, c’est toujours une bonne chose pour les médias. En plus, il est jeune et donc cool. Les médias adorent avoir l’air cool; c’est un peu leur métier. Certains leur demandent d’être compétents; mais ils ont pas le temps. Ils sont cools. On oublie d’ailleurs souvent que ces petites modes passagères qui nous animèrent tout le chapitre précédent sont bien souvent véhiculées par les bambins. Un peu comme le virus de la grippe magique qui attaque aussi les boyaux; mais en juste un tout petit plus porté sur les réseaux sociaux.  Comme nous l’avons vu précédemment la plupart des médias traitant de la chose font leur beurre sur la pub; il est donc logique pour eux d’essayer d’obtenir celle la plus à même de rapporter.

Cette tendance à privilégier un public jeune ne se fait pourtant pas dans le but de l’éduquer. Faut pas croire, c’est pas toujours à l’ordre du jour. L’idée est simplement de s’assurer de son allégeance le plus longtemps possible en les attrapant jeunes puis de les jeter quand il commencent à douter du bien-fondé de vos billevesées. Pour se faire comprendre, les médias privilégient un discours simple articulé de manière très compréhensible. Le propos ainsi modéré tend alors à être lissé de diverses manières pour empêcher de choquer. À ceci se greffe une autre nécessité bien plus veule. Celle de traiter de sujets simples capables de susciter l’intérêt de l’auditoire. Il est donc impossible de s’échapper au mauvais goût du public. Quoi qu’on fasse on finira par tomber soit sur lui, ce qui est déjà assez grave en soi. Soit sur une interprétation de celui-ci arrangée pour coïncider avec ce qu’on a prévu de leur vendre. Ce qui est encore pire.

Cette tirade ne devrait pas être vue comme une condamnation de générations ou de goûts ludiques. Ni comme une vocifération de vieux bougon : je suis dans ma vingtaine. C’est un bête constat. Depuis des années je lis une presse qui hésite entre péter plus haut que son culte et servir le public facile qui rapportera. Déjà, quand j’étais un bambin; cela me chiffonnait. J’imaginais mes rédacteurs favoris se forcer à s’intéresser au monde mystérieux du pog, des nouveaux Digimons et autres tentatives Tamagotchiennes de nous vendre du plastique. Une tâche dégradante en soi. Passer sa vie à suivre du futile pour pouvoir garder son job. Tu le crois ça? Moi pas. Je trouve ça contre-productif et j’estime qu’il faut que cela cesse. Il est possible d’éduquer les joueurs du futur. Certains ne demandent que ça. Pas des blagues faciles sur la mode du moment. Bon, on ne peut pas non plus avancer qu’ils veulent tous devenir des puits de science. Mais la plupart ne diraient pas non à un peu plus de sens. Quitte à parler de l’actu pourquoi ne pas la mettre en rapport avec des évènements similaires arrivés dans le passé histoire d’éduquer, hein? On ne sait jamais, quelqu’un apprendrait peut-être à faire son boulot correctement tout en faisant son devoir vis-à-vis du lecteur. Partir du constat que certains veulent s’instruire est toujours plus sain que de penser que nul ne veut savoir. Demandez aux cons, ils vous le diront.

C’est logique, des idiots sont joueurs de jeu vidéo. Et des idiotes, aussi, je voudrais pas avoir l’air sexiste en plus d’être pédant. Pour peu que l’on regarde bien, avec ses yeux, il est possible de se rendre compte que la tendance à l’inculture est large dans le fief de l’humanité. C’est la voie de facilité. Éviter l’effort, privilégier le confort; rester bien au calme dans son petit crâne. Le plus fort dans l’affaire est que ces olibrius ne sont pas responsables de leur sort. Un mélange de tares génétiques et d’inadéquation de l’éducation nationale à leurs besoins les ont poussés dans cette direction dès le plus jeune âge. Accaparés par l’ardue tâche de survivre, leurs aïeux n’ont pas pu agir dans le bon sens. Rajoutez à ça dix ans de télé-réalité, un repas au McDo de trop de temps à autres, une fascination maladive pour Chuck Norris; et pan, vous avez la parfaite recette d’un esprit gâché.

Leur présence massive dans le débat vidéoludique actuel fausse la balance de la réalité en leur faveur. Tout le monde le sait, le con aime causer. Très fort. Pendant des heures. En engageant son honneur sur des sujets dont il ignore jusqu’à la première lettre. Il a un réel talent puéril pour l’éristique, en plus, le con. Incapable d’admettre sa défaite il peut aller droit dans le mur pendant des heures et des heures. C’est pourquoi vous, oui vous avec les chouettes oreilles, allez m’aider à rétablir l’ordre naturel des forces mystiques de l’univers. Mettez vos pompes; on part marcher.

Je sais que vous n’avez plus trop l’habitude depuis notre session du mois passé; mais je vous demanderai de faire vite avec les échauffements. J’ai pas que ça à faire. Dans deux heures j’ai rendez-vous avec le Docteur pour causer des nouveaux développements dans l’acoustique infra-moléculaire qu’il a glanés auprès de De Vinci. Un type fascinant, d’ailleurs, très bon esprit synthétique. C’est bon, vous avez fini de mettre vos lacets? Cool, on peut enfin tracer.

Comme je vous le disais au début de cet échange de pensées à travers le vide de l’internet; la majorité reste silencieuse. Une petite marge d’idiots de combat – souvent fanboys jusqu’à l’os – accapare les premières lignes de ce champ de bataille. Elle beugle tant qu’elle peut; mais sans générer d’impact. Je vais vous révéler le secret de cette situation : ils sont trop stupides pour nuire. Leur esprit est trop faible pour ne serait-ce que comprendre ce dont ils causent. Ils sont incapables d’imaginer pouvoir potentiellement rêver de peut-être un jour commencer à être presque compétents en quoi que ce soit. Pour être très franc, il suffit de leur montrer le bon chemin avec tendresse et sympathie. De toute façon ils sont incapables de prendre une décision par eux-mêmes. C’est une chance, d’ailleurs. Car méchants comme ils peuvent l’être on aurait du mal à imaginer le genre de dégâts qu’ils pourraient infliger à la société si jamais ils venaient à se reproduire. Surtout qu’ils sont très très très laids. Oh non, un Dalek; courez.

Ahhh, j’apprécie le fait que vous y avez cru un bref instant. Reprenez votre souffle, enfin, tout le monde nous regarde. La minorité bruyante dont j’esquissais les contours difformes tout à l’heure ne saurait réellement faire mal; elle se contente juste de tourner avec le sens du vent comme une girouette peut le faire. Elle demeure souvent le seul son de cloche que nous entendions pour l’instant. Il nous faudra donc devenir bourrasque. Par nos moulins à paroles nous changerons les trajectoires de leurs petits bateaux mal construits avec de la colle blanche et des petites spatules de chocolats-glacés. Par la puissance de notre intellect, nous les rendrons honteux d’avoir pu même rêver une seule seconde d’avoir quelque chose à apporter au débat sur la chose vidéoludique. Faisons simple; il est temps de leur rappeler que certains savent et d’autres ignorent. Il est temps de rafraîchir dans leur cerveau un état de fait oublié depuis trop longtemps : c’est en droit que les gens sont nés égaux, pas en aptitudes. Il ne suffit tout simplement pas d’avoir une connexion internet pour pouvoir causer de jeu vidéo. La preuve, certains le faisaient même à une époque où ces moyens n’existaient pas. Oh, ils étaient pas tous des génies, hein. Mais certains d’entre eux étaient tout simplement légendaires.

Vous devrez quitter la douce protection de l’ombre projetée par la majorité silencieuse. Il est impossible que vous restiez sans rien faire face à tant de fierté auto-satisfaite dans le domaine de la stupidité. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est un combat. Ou qu’il est juste. Mais ne rien faire face à la barbarie des butors qui de leurs coups de butoir font trébucher les bases de notre système de pensée est un signe de lâcheté. Or, je n’entraîne pas les lâches. Sauf s’il s’agit de leur faire oublier leurs tendances pleutres. Oubliez ce que j’ai dit; j’entraîne les lâches. Mais quand j’ai ai terminé avec eux; ils se sentent immortels. Croyez-moi; vivre sans peur est la seule existence qui mérite d’être essayée. C’est ainsi qu’on vit libre. Matt Murdock vous le dira.

Par nécessité, vous deviendrez forts. Je n’y vais pas de main morte quand il s’agit de former la prochaine génération. Mieux vaut faire claquer le disciple entre mes mains plutôt que de produire un être trop faible pour faire la différence paradigmatique dont le monde a besoin. La loi du plus fier s’appliquera au moindre de vos pas. Le vent tourbillonnera sous la vivacité de vos doigts. Vous serez cette substance mystique dont sont faites les légendes que l’on chuchote à demi-mots la nuit quand les enfants sont au lit. En somme, vous serez l’un de mes disciples.

Les hordes idiotes dont j’ai fait l’apologie tout ce chapitre durant ne sont pas responsables de leurs actes. Ce sont bien eux qui les commettent. Mais ils le font car ils pensent bien faire. Toute leur réflexion s’appuie sur le consensus. Entourés comme ils le sont par les mensonges publicitaires d’une société qui ne les aime que comme vecteur de croissance; que peuvent-ils faire? Ils sont lâches. Paresseux. Il leur manque l’esprit critique nécessaire à faire la différence entre la publicité, la publicité déguisée et l’avis sympathique produit par d’autres pour les aider. Faut pas leur en vouloir, ils sont bêtes. Endoctrinés depuis leur plus jeune âge à suivre sans se poser de question ils ont perdu une part de ce qui fait un Humain. Avec un « h » majuscule. Pas juste un homo-sapiens capable de manger, respirer et excréter. Non; un Humain. De ceux qui créent, pensent, inventent, jouent et chantent. Un Humain. Ils ne connaissent pas la différence. C’est triste quand on y pense.

Qui peut-bien être responsable du pareil massacre de tant d’esprits potentiels. Est-ce une conspiration terroriste? Non. Est-ce un plan terrible digne de Blofeld? Non. C’est nous. Nous avons failli à nos frères et sœurs. Nous avions tellement peur de l’autre que nous n’avons pas su agir à temps. C’est ma faute. C’est la vôtre. Nous sommes faillibles. Nous sommes humains. Du moins, on le prétend. Cette inaction a pris mille formes; les marchands du temple trop ravis de leurs nouveaux maîtres nous ont vendu quoi rêver, les évangélistes ont continué de nous faire miroiter des choses insensées et nous perdus au milieu de tout ça, nous avons douté.

Douter peut être une chose saine. Il est toujours judicieux de réfléchir un tantinet avant de se lancer dans quoi que ce soit. L’incessant doute, celui qui ronge notre société un brin paranoïaque en ces temps d’horreur quotidienne, doit prendre fin avant de nous avoir pleinement dévorés. La seule leçon qui puisse vous aider est celle-ci, je la tiens de l’ordre fictif des sœurs Bene Gesserit. « Je ne connaîtrai pas la peur car la peur tue l’esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale. J’affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien. Rien que moi.« 

Si vous savez vivre selon ces préceptes; je vous invite à prendre part au débat actuel sur la chose vidéoludique. Le savoir est encore une valeur et cela malgré tout ce que la société post-moderne a fait pour tenter de vous laver le cerveau. Quel que soit votre niveau d’éloquence, parlez. L’idée n’est pas de rentrer en conflit avec la horde de crétins qui peuple le net; mais bien de proposer une alternative à son univers fait de let’s play pétomanes, d’unboxing « ironiques », de vidéotests péraves et de débats cartonnés où tout le monde est d’accord car payé pour applaudir. Nous méritons mieux. Vous et moi sommes les derniers descendants d’un peuple de puissants guerriers de l’esprit; dans le temps notre nom résonnait sous les étoiles de l’infini. Les enfants d’une tribu dont les elfes se souviennent. Autrefois ils nous nommèrent…

Humains.