04 – « Pro » vs. « amateur » : la guerre des guillemets.

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Une question suscite à elle seule une grande partie de la controverse qui anime de nos jours les débats sur la chose vidéoludique. Certains esprits affûtés pourraient ainsi la résumer : mais quelle différence palpable peut bien justifier le clivage entre professionnels des médias de ce style et leurs comparses éminemment sympathiques du monde des amateurs? Des deux côtés de la barrière, des éléments exceptionnels tentent d’éduquer les gens au mieux de leurs capacités respectives. Les moyens mis en jeu sont souvent très similaires et les lignes de démarcation autrefois cimentées par le fait d’être ou non publié sur papier sont en train de s’estomper. Quelle est donc la différence? Si ce n’est d’enlever quelques guillemets.

Pour faire simple, nous vivons une époque où tous peuvent converser sans que cela soit un processus compliqué. Les lignes de communication sont grand ouvertes. Peut-être même trop. Et donc des gens les utilisent. Malgré l’absence coupable de voitures volantes dans le ciel de nos mégalopoles, certains détails indiquent que l’on vit dans le futur. Prenez vos rations de survie; je vous emmène pour une escale supplémentaire sur les terres du savoir. Aujourd’hui, nous allons explorer ensemble les raisons susceptibles de nous aiguiller dans la direction d’une plus grande compréhension de ce que l’on veut dire par la phrase sans réel sens de « pro du jeu vidéo ».

Passons illico un coup de pommade sur l’appellation de professionnel du jeu vidéo. Ils existent en diverses saveurs toutes différentes. L’on a d’une part les gens qui bossent pour les éditeurs : managers de communautés, publicistes, propagandistes, gens qui font les jeux, petites mains, autres employés de bureau, etc. De l’autre, nous trouvons ceux qui nous intéressent : les chroniqueurs, les pigistes et ceux qui les aident à produire du sens sur ce qui sort dans les bacs. L’évidence veut que cette première caste ne nous intéresse que fort peu. Elle sert un but simple : vendre du volume. Ses moyens sont ce qu’ils sont et seules leurs interactions néfastes avec la seconde peuvent nous intéresser. Celles bénéfiques n’ont pas à être mentionnées car elles sont toutes naturelles et nécessaires au bon fonctionnement des médias qu’elles abreuvent. Certes, la mode est à la délation. Aux machinations rêvées de la part de paranoïaques qui s’ignorent. Mais il serait stupide d’exiger pour autant une séparation totale de ces deux pans de la même activité. Faut pas croire, le travail fourni par les journalistes pros nécessite un type de compétence que tous ne peuvent pas prétendre posséder.

Vu de loin, leur travail peut sembler simple. Il est en fait compliqué. Ils doivent écrire à temps ce qu’on leur a commandé contre une rémunération pas toujours à la hauteur de l’effort fourni. Telle est la loi du marché et celui des écrits traitant du jeu vidéo est assez minuscule. Nombreux sont ceux qui après des années d’études afin de devenir de vrais journalistes – avec carte de presse et tout – se retrouvent à faire les chiens écrasés pour un quignon de pain. C’est le problème des diplômes, ils ne protègent plus grand monde de nos jours. Et encore, ceux-là ont du travail. Imaginez les autres.

Par chance, il n’est pas obligatoire d’avoir un papelard pour écrire dans un journal de jeu vidéo. Non, faut s’y connaître un peu en jeu et plaire à son boss. (Autant l’admettre, savoir plaire à son patron est un talent requis dans la plupart des professions.) Avant d’en arriver là, ils ont passé des années à s’infiltrer dans les réseaux en vue. Au fil des ans, ils se font une réputation, filent douze tonnes de petites cartes de visite kawaii avec une vanne dessus; tout ça dans le but final d’un jour plaire à quelqu’un susceptible de les rembourser de l’effort fourni. Ce n’est pas une condamnation ô combien croustillante du clientélisme prétendu qui anime ces médias que je vous écris là mais juste un constat basé sur mon expérience personnelle.

Petit aveu momentané : ce n’est pas par hasard qu’une implacable puissance lyrique m’anime quand je cause de vidéoludisme. Ce n’est pas non plus un accident, même si je suis tombé tout petit dans la potion magique. En fait, c’est une déformation professionnelle. Cela fait des années que j’écris sur le sujet avec divers niveaux de succès. La plupart de ces écrits sont réalisés pour des charmants indépendants qui me demandent un coup de main. Mais pas tous. Voyez-vous; moi aussi je suis un mercenaire. Et cela même si j’agis selon des idéaux dont l’application scrupuleuse font de moi ce que je suis. Ma particularité, c’est que je suis assez riche pour choisir d’éviter certaines missions. Faut savoir choisir, toute proposition n’est pas bonne à prendre. Ce livre, que certains esprits chagrins considéreront comme une publicité, est mon cadeau envers une communauté qui pour la plus grande part ma toujours encouragé. J’espère pouvoir susciter dans le fief du lecteur – ou de la lectrice, tiens – une réaction qui saura propulser une partie d’entre vous sur un itinéraire qui mérite d’être vécu. À savoir celui de la compétence appliquée à ce que l’on aime. Prenez des notes.

Pour devenir pro, faut en vouloir. Ah, et être français aide aussi énormément. Cessons de nous leurrer, le monde francophone des médias portés sur le pixel est avant tout une chose parisienne. Grosse ville, grosse population; il est donc logique qu’une capitale européenne de telle envergure soit susceptible de faire survivre une caste urbaine aussi spécialisée. De temps à autres, un champion intercontinental est importé sur ses qualités exceptionnelles; mais la plupart du temps c’est une affaire de réseau sociaux, de copinage intéressé et surtout de patience. Cette tendance entraîne un biais de l’information certain, pour peu que vous soyez suisse, belge, luxembourgeois, québécois ou même des DOM-TOM; vous savez sans doute de quoi je parle.

La différence primordiale entre un « pro » et un « amateur » est donc une question d’opportunité. Sans premier coup de pouce, aucun autre ne vient. C’est pour cela que tant de petits aigris talentueux hantent SensCritique à trois heures du matin pour vomir des torrents de bile sur les avis des autres. Jaloux? Cela semble évident. Ils sont du camp des « si on m’avait aidé » tels que documentés par Raymond Devos. Si on les avait aidés, ils auraient sauvé le monde, gagné la guerre, mis fin à la famine. Ah, ça, si on les avait aidés. Ils ont oublié que la seule solution pour s’en sortir c’est bien de s’aider soi-même. Beaucoup pensent qu’être à contre-temps du discours établi suffit à faire la différence. Que nenni, c’est tout le contraire. La négation n’est pas un talent difficile à acquérir. J’ai souvenir que quand j’avais trois ans, je disais non à tout. C’est une phase que tout un chacun subit. Tous ne sont pas capables de la dépasser. Mais vous savez, si on les avait aidés…

L’autre grosse différence, c’est le salaire. Certains rédacteurs sont tellement doués qu’ils méritent un pécule. D’autres l’ont été un bref instant et ainsi rentrés dans l’œil du public tentent d’y survivre. Par exemple en implorant leurs lecteurs de virer l’adBlock quand ils passent sur le site. Ou de s’abonner contre du vrai argent pour pouvoir profiter d’exclusivités mirobolantes offertes ailleurs gratuitement par des gens compétents. Mais quoi que vous fassiez, avant de fermer la fenêtre dégouté, n’oubliez pas de pré-commander vos jeux par leur site afin de les faire profiter d’une commission de quelques misérables cents. Car telle est leur valeur du moment. Celle qu’ils ont su négocier. Quelques misérables cents.. Mais ceux-là ne sont pas majoritaires. Au contraire : faut oser se la jouer mendiant médiatique, c’est dégradant. Et avouer à chaque minute l’échec de son business-model; cela doit quand même être vexant.

Les pros de qualité existent, je les ai rencontrés. Je ne vais pas les jeter sous les roues du bus en mentionnant leurs noms, mais ils existent. Surtout dans les vrais journaux, ceux qui causent aussi d’autres choses que de jeu vidéo. Un peu comme le Gifaro. C’est un plaisir de pouvoir les lire et, sans surprise, certains d’entre eux savent même écrire. Comme je vous le disais dans le premier chapitre, leur existence prouve qu’il est possible de faire les choses de manière correcte sans pour autant vendre son âme contre des Doritos. Ce qui est fort dur. C’est vachement bon les Doritos. Pour ceux qui aiment ça.

L’existence même d’une caste de professionnels payée pour consacrer une grande partie de leur existence à penser en termes ludiques peut être une excellente chose. Comment voulez-vous qu’une discipline se découvre une envie de transcendance sans intellectuels? Impossible. Le réel problème de la situation actuelle des médias vidéoludiques est aisée à comprendre. Trop peu d’intellectuels compétents arrivent à atteindre la place qui devrait les attendre. Souvent – si jamais ils arrivent jusqu’à elle – celle-ci est déjà occupée par l’un ou l’autre populiste, un habile arriviste; l’ennemi que le spécialiste ne peut que conspuer. C’est ça la réalité. Et pourtant l’idée de pouvoir compter sur l’existence de spécialistes de la question serait un avantage pour toute la profession. Cela offrirait la possibilité d’un processus de légitimation de la cause. Mais non, l’on préfère salarier l’existence d’auteurs intégralement axés sur le fait qu’ils sont « caustiques », « ironiques », « sarcastiques ». Leur qualité intrinsèque n’a pas d’importance en fait. Faut juste que leur discours soit compris. Et ce que je vous dis là, c’est pas du pipeau…

L’argent semble être une manière assez conventionnelle de se payer les services et autres biens dont le corps à besoin. De plus, toute notre époque semble tourner autour de l’obtention et de la dispersion de cette valeur numérique. Je propose donc que nous en donnions à ceux qui le méritent. Pas tout d’un coup car sinon ils n’auront plus aucune raison de travailler. Non, je propose qu’on paye pour leurs services en récompensant les publications qui les hébergent. Cela les mettra dans une forme de servitude face à leurs bienfaiteurs; ils auront tellement peur que ça cesse qu’ils fileront droit. En somme, comme d’habitude, votez avec vos portefeuilles.

Comment m’assurer que ma publication favorite file droit vous demandez-vous? C’est très simple ma bonne dame, je vais vous expliquer ça illico.

Petit un : la transparence. Toute publication devrait détailler sa position face aux services des éditeurs susceptibles de colorer dans l’esprit du lecteur la pertinence d’un article. La gratuité des titres critiqués devrait être rappelée si c’est le cas. Les conditions de test, si elles diffèrent de la normale, devraient l’être aussi. Ne serait-ce que pour éviter tout type de malentendu. Rappelons d’ailleurs à l’occasion aux plus frondeurs d’entre nous que décidément un jeu gratuit n’est pas toujours meilleur qu’un jeu payant. Sachez que devoir sacrifier sa précieuse vie à jouer à des bouses est la croix du critique de jeu vidéo. Gardez cela en mémoire si jamais vous voulez vous y mettre; vous allez vous en bouffer de la daube.

Petit deux : la compétence. Tentez de vérifier si l’auteur a en effet joué au jeu. On ne sait jamais. Faites preuve d’esprit critique. Comprend-il les références qu’il est censé comprendre pour apprécier l’œuvre? Sait-il de quoi il est question dans le genre auquel le titre appartient? Posez-vous ces questions, elle sont encore d’actualité. Même de nos jours, des tests écrits par des gens qui n’ont pas touché au titre plus de dix minutes sortent sur des sites réputés comme respectables. C’est bien moins la norme que dans la sainte décennie des années quatre-vingt mais autant éviter la rechute. Bon, ce que je dis n’est pas d’application si le titre se finit en effet en dix minutes. Faut pas six ans de réflexion pour critiquer Pigeons Pas-Contents.

Petit trois : l’humilité. Sent-on une tendance malsaine dans la rédaction pour mettre en avant leur existence comme une magnifique émission de télé-réalité de l’esprit? C’est toujours mauvais signe. Quand la personnalité du rédacteur prend le pas sur le jeu qu’il est censé servir par ses capacités, itou.

Petit quatre : le copinage. Toute caste de journalistes finit par baigner dans son propre jus. Les intéressés finissent toujours entourés d’attachés de presse, d’éditeurs, d’autres journalistes, etc. C’est normal me direz-vous, c’est un peu la structure du métier qui le requiert. Et c’est très vrai. Sauf que dans certains cas, cela peut aller à l’encontre de l’intérêt du lecteur. Comme, je sais pas moi, si cela mène à dire du bien d’un service de faible qualité car l’on à quelque chose à y gagner. Ou à faire la pub de l’une ou l’autre personne plus pour ce qu’il peut vous apporter que pour sa qualité intrinsèque de joueur d’échecs. Je n’accuse personne, hein, ce sont juste des exemples théoriques.

Une autre tendance qui en découle peut s’apparenter au fanboyisme. Certains rédacteurs sont vraiment un peu trop amoureux des créateurs remarquables qui viennent faire semblant de leur être sympathiques dix minutes pour faire leur propre pub. Face à tant de star-power, le rédacteur faible de cœur peut parfois perdre sa propre force critique subjective. Remarquez que plus un créateur vient honorer une mauvaise publication, mieux ses jeux sont notés. C’est mathématique. Surtout si son éditeur a payé pour énormément de pub sur le site. Ou que le créateur du jeu y a ouvert un blog pour narrer le développement de son nouveau chef-d’oeuvre du ludiciel interactif. Vous savez, c’est celui où l’on perd son fils dans un supermarché alors on se coupe le doigt avec une tenaille tout en mangeant un Mars d’un air détaché.

Petit cinq : retourner sa veste. Toute tentative de faire passer du contenu publicitaire pour du contenu éditorial journalistique devrait être considérée comme hautement suspecte.

Petit six : toujours du bon côté. De même, méfiez-vous de ceux qui utilisent leur carrière de journaliste de jeu vidéo pour se lancer dans la communication d’entreprise. L’inverse est tout aussi suspect. C’est comme si un flic se mettait soudain à devenir le proxénète du coin. S’pas très sain. Notez, si quelqu’un veut utiliser sa notoriété de critique de jeux pour devenir danseur de claquettes, il a tout mon aval. Voilà une transition qui nécessite un courage à toute épreuve.

Petit sept : les tests. En préambule, il sera toujours bon de rappeler que ce processus de test est subjectif. Il repose sur la retranscription des expériences de la personne lors de sa rencontre avec le jeu. Comme le disent les anglais : « one man’s meat is another man’s poison« . Personne n’est obligé d’aimer un titre. Ils peuvent déplaire. Ce n’est pas une raison pour donner un 8/10 consensuel à tous les titres qui passent le perron de la rédaction. Apprenez-donc à vous méfier de toutes les publications, aussi petites soient-elles, qui ont une moyenne de test supérieure à la moyenne. C’est-à-dire 5/10, autant préciser pour nos amis mathémagiciens.

Petit huit : there is no petit huit. 

Sept préceptes suffisent à couvrir les pires biais de ce type d’information. Soyez généreux dans votre application de ceux-ci, la plupart du temps ces gens tentent de faire de leur mieux. N’intervenez pas à tort et à travers, cela ruinerait l’effet de votre action. Si des pièces à conviction existent, par contre. L’on juge, l’on accuse et cela en étant ou pas Goron Zola.

Un esprit affûté voit se dessiner la vérité : milieux pros et amateurs des médias vidéoludiques ont beaucoup à apprendre l’un de l’autre. Et ça même s’ils interagissent trop rarement. Peut-être que les vétérans pourraient apprendre aux nouveaux venus comment faire leur boulot avec le minimum de respect du travail bien fait. L’enthousiasme des autodidactes pourrait peut-être raviver un brin l’entrain parfois las des pros. Peut-être que des confettis vont me sortir des trous de nez la prochaine fois que je me moucherai. Seul l’avenir nous le dira. Entretemps ce serait une bonne idée que les deux faces de la même question se gardent mutuellement éveillées.

La morale de cette histoire se déroule enfin sous nos yeux ébahis. Aucun des deux camps n’est maléfique en lui-même. Nul n’est Darth Vader dans l’affaire. Les deux camps tentent de survivre dans un monde futuriste. Pile comme Calrissian. Le fait que certaines choses méritent d’être gratuites car elles dépassent de beaucoup l’impératif de survie des médias n’empêche pas l’existence de ceux-ci d’avoir un sens. Nous avons besoin de sources compétentes où trouver un commentaire de l’information. Nous avons besoin de quelqu’un pour avoir un avis. Pas pour le suivre aveuglément, hein, mais pour que quelqu’un soit obligé de se mettre face au jeu. Et cela qu’ils le veuillent où non. Pan. Obligés. C’est par cette voie que nous saurons à quel point les Crazy Frog Racer du futur seront péraves. Les médias vidéoludiques sont ce qu’ils sont : un style journalistique défendu par des soldats pas toujours compétents. Leurs meilleures heures font cependant penser qu’un futur est possible pour la profession. Qu’un jour s’opèrera la révolution de l’esprit qui rendra réaliste l’idée de voir le jeu vidéo considéré comme valide. Croyez-moi, tout cela commencera par la création d’une vraie intelligentsia.