Futile Fury,

ou comment sauver le monde de la critique vidéoludique en douze étapes faciles à appliquer.

 

 

 

 

Avant-propos,

        Le texte que vous avez face aux yeux représente l’aboutissement d’une vingtaine d’années de réflexion sur la question vidéoludique, sur sa valeur intrinsèque, la manière dont elle est traitée par ses médias, les problèmes inhérents de ceux-ci et la manière dont vous et moi pourrions changer les choses par un simple effort de volonté. Avant de vous exposer mon projet; je vais me présenter. Cela me semble plus poli.

        Je m’appelle Arthur Meurant, je suis né en 1986 près de Bruxelles et cela fera bientôt huit ans que je consacre une partie de mon temps à réfléchir à ce qui fait la particularité du jeu vidéo. C’est un processus constant qui m’amène à produire de temps à autres des vidéos sur divers services de streaming. Rien de bien palpitant, rien de bien exceptionnel; juste du bacon. Dans mon temps libre, je tente de causer de ce qui me plaît avec passion et de ce qui me dégoûte avec entrain. Parfois, les gens adorent ce que je dis au point de se revendiquer de mon camp. D’autres détestent mes propos au point de me menacer de mort sans grande conviction. Ces réactions extrêmes n’ont rien pour me surprendre : j’ai bâti ma semi-réputation de critique vidéoludique de second rang sur une tendance pathologique à dire précisément ce que je pense. Cet état de fait est simultanément une bénédiction et une malédiction. Je ne peux tout simplement pas m’empêcher d’être franc quand je parle de quelque chose. Mes propos largement diffusés dans la francophonie par la magie de l’internet choquent et surprennent les auditeurs qui du haut de leur douze ans pensent détenir la Vraie Vérité Vraie de la Vie Vécue alors même qu’ils apprendront avec le temps que ce monde est fait d’opinions. Souvent divergentes, d’ailleurs; c’est ce qui fait leur intérêt.

        Cette longue introduction tente d’implanter dans votre esprit un fait simple : je ne suis ni un saint, ni un monstre; juste un homo-sapiens dernier modèle. Précisément comme vous. Ou presque, car cette année j’aurai l’occasion de prendre la parole à douze reprises ici-même afin de vous causer quelques instants de divers thèmes portant sur l’état actuel de la chose vidéoludique. Le but de l’exercice sera double : me mettre les idées en ordre – cela fait un certain temps que mon cerveau me semble fragmenté – et vous faire réfléchir quelques instants.

        Cela fait longtemps que je me promets de mettre par écrit mes pensées vagabondes sur ce sujet ô combien intriguant. Sans m’en rendre compte, j’ai toujours évité le moment de pousser sur la première touche. J’ignore précisément pourquoi. Sans-doute un mélange de peur et d’appréhension. Peur, car on ne sait jamais que mes élucubrations de haut niveau vous semblent parfaitement dénuées d’intérêt. Et d’appréhension, car il est possible que vous n’ayez pas l’équipement nécessaire pour pareille démarche. Pire, il est possible que l’ère dans laquelle nous vivons soit réfractaire à ce type d’aventure. Voyez-vous notre époque est progressivement devenue celle du ménestrel sans profondeur. Celui-là même qui tente en douce de se faire passer pour un héros du peuple alors que son talent d’amuseur lui permet à peine de subsister sur le dos de son maigre public. Tel est le profil type de celui qu’on écoute à notre époque. Contrairement à tant d’autres, j’ai refusé de m’y plier. Je ne suis pas un numéro.

        Notre odyssée d’un an sera donc composé de douze escales rédigées à pleines mains par un vétéran méconnu en quête de sens. J’espère pouvoir compter sur vous car comme Leïa le disait à Obi-Wan par l’entremise d’un droïde cabossé : vous êtes notre seul espoir.

Cordialement,
Arthur Meurant

 

01 – Le Tour de la Question.

 

        Tout voyage commence par un premier pas. C’est ce que dit Confucius si l’on en croit les pubs pour le whisky. Ce premier pas définit l’intégralité du trajet. Admettons que Bilbon se soit fendu le pied sur un caillou particulièrement pointu lors de sa première excursion; il n’aurait jamais trouvé l’anneau. Frodon, lui, n’aurait jamais été chargé de le détruire. Boromir aurait pu continuer à se peigner en paix chez lui. Et un peu plus loin dans l’histoire Christopher Lee aurait enfin gagné un film. Imaginez donc l’importance du premier pas d’un voyage aussi métaphorique que le nôtre. Pour peu qu’on pose mal le pied, l’on risque de se briser le cou. Ou pire. Je vous propose donc posément de lever votre jambe. De tendre votre voûte plantaire quelques centimètres vers l’avant avec toute la précaution que ce geste nécessite. Gardez votre équilibre, c’est primordial. Entamez tout doux, le mouvement inverse. Laissez faire la gravité. Mais pas trop. Voilà, nous venons de commencer à causer sur un ton badin de la manière dont les gens s’informent sur le jeu vidéo.

        S’informer est une démarche saine qui date de l’époque où nos grand-parents étaient orangs-outangs dans le Serengeti. Savoir ce qui se passe autour de nous permet d’éviter les mauvaises surprises. Comme d’être mangé par Charlie le Chacal et sa bande de joyeux lurons dont la rumeur dit qu’ils mangent de jour comme de nuit. Ou même de devoir payer un mauvais jeu plein pot alors même que l’on pourrait se payer un chef-d’œuvre indé pour un quignon de pain. Mais, malheur, l’on ne sait pas se nourrir ex-nihilo du zeitgeist ambiant. Pour se renseigner, il faudra utiliser divers services de renseignement : Interpol, KGB, FBI, CIA; tous les grands du monde de l’information utilisent divers types de médias afin de rester au sommet de leur art. Vous devrez en faire autant. Nul n’est capable de se connecter à la conscience cosmique pour recevoir de manière mentale les nouvelles du jour direct dans la membrane. Croyez-moi, j’ai essayé.

        Ce qui nous amène à l’épineux problème de la confiance. Après tout qui croire? Quel média? Quand? Comment? Sous quelles conditions d’utilisation révocables à tout instant? Faut-il lire, écouter, regarder? Faut-il faire confiance aux mercenaires qui n’ont rien à perdre ou aux professionnels qui ne peuvent plus se permettre de prêter le flanc à la critique? Dilemme épineux. Il ne m’appartient pas de décider à votre place. Ce serait injuste et limite malsain d’un point de vue déontologique. Après tout, j’interprète un docteur sur internet. Non, ce que je vais faire c’est sous-entendre avec une force phénoménale des généralités pleines de bon sens.

        Tout d’abord, salut les hippies, l’information est un produit. Divers types de structures utilisent diverses formules afin de faire rentrer des informations dans votre cerveau par un nombre d’orifices en constante augmentation. Toutes prétendent couvrir l’actualité de manière impartiale. Toutes biaisent celle-ci afin de la faire rentrer dans la grille de leur sommaire. Dans certains cas, acceptables, le brassage est opéré afin de rendre la compréhension de ces informations plus aisée. Dans d’autres, l’on oublie de mentionner certaines parties de la nouvelle afin de la rendre plus attrayante à l’œil de l’utilisateur. Cette théorie empruntée aux exécrables tabloïdes anglais semble revendiquer la fameuse phrase de Mark Twain pour se créer des exclusivités à prix modique. (Never let the facts get in the way of a good story; comme le disait l’homme d’Hannibal dans le Missouri.)

        Si je vous parle de produit, c’est à juste titre. Dans le domaine du jeu vidéo, encore plus qu’ailleurs, l’information émane entièrement des compagnies qui font vivre l’industrie. Ici, point d’ONG pour contester les fariboles étatiques; pas de reporter lancé sur le terrain pour vérifier par lui-même. On se contente de répondre aux impulsions unidirectionnelles des éditeurs. Le plus gros de ce qui passe pour de l’actualité vidéoludique peut donc être résumé à des annonces diverses et variées. Ce qui donne une tronche toute particulière aux informations qui en découlent : liste de ristournes, annonces d’annonces, compte-à-rebours mystérieux, quelques secondes de vidéo du produit de l’année suivante ou même previews inutiles de jeux sur lesquels le travail vient à peine d’être commencé. Relayer pareille information ne nécessite pas de diplôme en journalisme. Avoir son baccalauréat option ctrl+c/ctrl+v suffit.

        Le lecteur/auditeur se retrouve donc toujours face à une vision de l’information produite par une ou plusieurs personnes afin d’accomplir une mission possible : vous fidéliser en tant qu’utilisateur. Si vos sources sont toutes gratuites – et que vous ne daignez pas payer pour la qualité – alors l’enjeu est bien de vous fidéliser et non pas de vous informer. C’est pourquoi l’on vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour toujours plus d’aventures vidéoludiques, n’oubliez pas de vous abonner, de nous liker sur Bacefook, de tweeter notre race et si vous aimez ça achetez nous un ticheurte. Vous connaissez la rengaine, c’est l’air à la mode. Peut-être l’avez-vous déjà fredonné.

        La course à l’audimat se transforme ainsi en une guerre à outrance où le seul objectif est de vous faire revenir. Les armes utilisées par les « producteurs de contenu » pour arriver à leurs fins sont simples : gratuité de la formule (ou présence d’une démo gratuite de la version payante), haute fréquence de parution et un ton particulier censé donner sa personnalité au produit. Le ton choisi est d’ailleurs souvent celui d’un copinage nauséabond à tu et à toi qui n’hésite pas à faire semblant d’avoir une forme de connivence avec vous. Et cela malgré ce fait double : vous n’avez jamais rencontré l’auteur de ces parutions et qu’il n’en a rien à taper de votre existence si ce n’est l’éventuel gain monétaire ou statutaire qu’il pense réaliser sur votre dos.

        Remarquons d’ailleurs au passage cette fabuleuse invention de l’époque moderne : le « producteur de contenu« . Mot magique inventé par le monde très tarte à la crème du marketing il désigne « la personne qui fait un truc dont on peut tirer un profit« . Enfilez quelques secondes les lunettes d’un marketeux. Oh, regardez! Vous pouvez voir du contenu! Partout! Le journal là? Un contenant constitué de contenus! Votre émission favorite – celle-là même que vous aimez car elle semble avoir un brin d’âme – 24 images de contenu la seconde! Plus si vous êtes riche! Sur le mur, serait-ce une œuvre d’art?! Nan, man, du contenu! Is it a bird? Is it a plane? No! C’est du contenu! Votre chien qui se soulage sur votre moquette? Bon, ce n’est pas vraiment du contenu. Et c’est bizarre, cela ne manque pas de substance. De nos jours le fait que vous soyez compétent dans votre domaine n’a plus aucune importance; du moment que vous produisez un truc populaire.

        Où en étais-je? Ah oui, j’étais en train de détailler vos habitudes de consommation de l’information. Attachez vos ceintures, je vais faire le tour de la question. Presque tout le monde se livre un jour à l’exercice du  podcast, sorte d’émission de radio en différé devenue populaire après que les acheteurs d’iPod se soient rendu-compte du coût prohibitif de l’acte de remplir leurs joujoux de musique légale. Cela existe aussi en version vidéo : idem que la phrase précédente, mais avec le plaisir de regarder des gens quelconques suer d’un air apeuré tout en meublant sec pendant tout l’exercice. L’expérience est surtout populaire du point de vue sonore et cela malgré les efforts énormes consentis par les créateurs de walkmen pour dire adieu aux cassettes et faire rentrer des écrans dans leurs nouveaux modèles. C’est que convaincre les gens de regarder une mauvaise émission de télé sur un écran lilliputien n’est pas mince affaire.

        Plus rare, les individus qui relayent des infos. Surprise, surprise; il n’est que très rarement question de quoi que ce soit de factuel. Même si, comme par ailleurs, l’une ou l’autre exception confirme parfois la règle. Souvent le principe se résume à faire le tour du web en quête de clips lol faciles à enchaîner pour faire rigoler un bref instant le spectateur aisément satisfait. Mais l’on doit admettre que comme courroie de transmission de l’opinion publique il est difficile de faire plus pratique qu’un bloggeur ou un vidéotesteur. Car, du moins en théorie, il est censé faire partie du public tout en étant capable de le rassembler. Ce qui le rend excessivement utile comme outil de marketing; mais je vous causerai de ça dans le futur.

        Le reste de l’information suit avec plus ou moins de bonheur les traces du grand journalisme du XIXè siècles : quelques gens merveilleux se battent pour le bien perdus dans la foule médiocre de ceux prêts à vendre leur cul pour quelques sous dont ils ont grande nécessité. Certains d’entre eux sont tellement désespérés qu’ils vont jusqu’à produire de fausses nouvelles. Imaginez s’ils ont besoin de l’argent de la pub. Et cet état de fait vaut pour tous types de publications : du blog réalisé par deux passionnés dans leur mansarde au site professionnel chez qui tout rédacteur rêve de finir. La simple différence est celle de l’échelle.

        Vous vous demandez sans-doute en quoi tout ceci peut être considéré comme grave. C’est tout naturel. Après tout depuis le début de ce texte je vous cause à peine des diverses manières assez usuelles par lesquelles les gens restent vaguement au fait de ce qui se passe dans un de leurs divers hobbys. Rien de dangereux d’un point de vue existentiel; autant l’admettre. Ce n’est pas catastrophique si certains titres pas terribles sont sur-notés. Personne ne risque de mourir d’être déçu par un jeu vidéo. Nul ne sera jamais poussé au suicide par l’inaptitude d’un journaliste dont seul le titre convient à pareille description. Juste quelques petites manipulations sans importance dans un domaine de réflexion qui est loin d’être des plus profonds.

        Le fait que celles-ci soient possibles laisse entrevoir un univers bien plus grave. Et si le reste de l’information finissait par fonctionner de la même manière? Imaginez un futur où les médias tirent toute leur information de leurs patrons évitant au passage tout ce fastidieux processus de vérification qui faisait à une époque la gloire du journalisme d’investigation. L’information serait vendue gratuitement, ce qui empêcherait toute forme d’alternative d’exister. Et comme le consommateur a toujours raison, la majorité de ce cheptel ne verrait pas l’utilité de continuer à payer pour qu’on tente de lui dire la vérité. Pire, l’outil gratuit doté d’une force de frappe sidérante saurait aisément couler les derniers résistants sous la houle de sa propagande. Imaginez pareil futur. Les enfants, vous vivez presque dedans.

        Enfin nous tombons sur le sens de cet article : aucune information de qualité n’est offerte gratis. Vous voulez de l’info gratuite? Vous aurez des dépêches d’entreprise recyclées en un gruau aisément digestible. La taille de l’organisme occupé à vous donner la becquée n’a plus d’importance; seule compte sa capacité d’upload.

        Payer n’est pas non plus une garantie. Je sais, c’est paradoxal. Beaucoup de ce que ma génération prenait pour du journalisme vidéoludique de haut vol n’était en fin de compte qu’un catalogue publicitaire saupoudré de quelques moments de vérité. Ou pire, les élucubrations fanboyesques de gens certains de faire le bien tout en créant par leurs actions toute une génération de crétins sectaires. Telle est la malédiction du journal officiel.

        Soyons optimistes quelques instants, la presse de jeu vidéo vit une époque de transition jamais vue auparavant. Les vieilles formules basées sur la communication d’entreprise ne sont plus compétitives face aux sites gratuits qui peuvent remplir le même office. Gratuitement. L’on voit disparaître à un rythme régulier les journaux pilotés à distance par l’une ou l’autre compagnie. Pourquoi se fatiguer à publier quelque chose soi-même quand on peut profiter des nouvelles technologies pour laisser d’autres s’empresser de le faire? N’oubliez jamais que le mot d’ordre principal du grand capital est l’économie d’échelle.

        Cet état de fait nous plonge dans une situation étrange où des publications capitalistes de qualité produites par des journalistes dignes de ce nom sont générées pour remplir le vide laissé sur les étals par la mort de l’ancienne garde dont la nouvelle génération découle. C’est une excellente chose et il me semble que tout un chacun devrait pouvoir malgré tout lire CanardPC sans avoir trop honte. Dans le futur, c’est presque sur, d’autres publications de ce genre verront le jour. Entretemps, c’est à nous de les protéger pour assurer à ce type de presse spécialisée la possibilité de lendemains qui chantent.

        Ce qui nous laisse agréablement dans l’instant présent. Quelle que soit la manière dont vous consommez vos informations; vous devriez maintenant y voir un peu plus clair dans le jeu des diverses forces tapies dans l’ombre pour profiter de votre passion. Peut-être que dans votre poche vous chérissez l’une ou l’autre initiative autodidacte que vous estimez à même de remplir vos besoins. C’est très bien.

        Cela ne vous empêche pas pour autant de rester vigilants face à ces inconnus que vous invitez régulièrement à partager votre cerveau. Ce ne sont pas vos amis, malgré tous leurs efforts mielleux; juste des gens qui tentent d’imposer un avis. Parfois le leur. Parfois celui de leurs patrons.

        Gardez l’œil ouvert, renseignez-vous. Cherchez à vous informer à diverses sources. Comparez l’évolution d’une même nouvelle sur divers sites au cours d’une même journée. Vous seriez surpris du niveau de manipulation de l’information que vos concitoyens sont à même de supporter. De même privilégiez des sources capables de commenter l’actualité et non pas juste de véhiculer de la pub.

        Quelle que soit la manière dont vous restez connectés à votre monde; soyez conscient de l’existence en dehors de celui-ci d’intérêts très tangibles bien décidés à vous utiliser. C’est à vous de voir si voulez vivre libres, ou survivre en tant qu’esclaves. Sur ce je vous donne rendez-vous le mois prochain pour une discussion qui portera sur l’un des plus gros problèmes que vit notre société : la perpétuelle poursuite de la mode. Heeey, ne me jetez pas ce regard froid plein de méfiance justifiée. Faut pas m’en vouloir, je suis pas maléfique.

Vous voulez un… ticheurte?

[Prochain rendez-vous le 13/02/2013. 
Je vous expliquerai de manière aisée à comprendre pourquoi la recherche d’une mode toujours renouvelée détruit notre société et ce que vous pouvez faire pour changer les choses. Sans surprise, cela passe par l’abandon du lolcats comme vecteur de culture.]